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Univers. L’île de Pâques : la collaboration au service de la civilisation

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Une nouvelle étude sur les outils utilisés pour créer les statues géantes de l’île de Pâques évoque une société dans laquelle les gens collaboraient et partageaient l’information. (Image : Dale Simpson, Jr.)
 

Vous connaissez probablement l’île de Pâques comme « l’Île aux têtes de pierre géantes ». Cette île isolée, située à 4 000 kms au large des côtes chiliennes, a longtemps été considérée comme mystérieuse – comme un endroit où les marins polynésiens ont établi leur camp, construit des statues géantes, puis détruit leur propre société par des combats internes et la surexploitation des ressources naturelles.

Cependant, un article paru en 2018 dans le Journal of Pacific Archaeology fait allusion à une histoire plus complexe - en analysant la composition chimique des outils utilisés pour créer les grandes sculptures de pierre, les archéologues ont trouvé des preuves d’une société sophistiquée où les gens partageaient des informations et collaboraient. Laure Dussubieux, scientifique au Field Museum, l’une des auteures de l’étude, a déclaré : « Pendant longtemps, les gens se sont interrogés sur la culture derrière ces statues très imposantes. »

« Cette étude montre comment les gens interagissaient, elle aide à réviser la théorie. »

L’auteur principal Dale Simpson, Jr, archéologue à l’Université du Queensland, a ajouté : « L’idée de compétition et d’effondrement sur l’île de Pâques pourrait être exagérée. »

« Pour moi, l’industrie de la taille de pierre est une preuve solide qu’il y avait une coopération entre les familles et les groupes d’artisans .»

Les premières personnes sont arrivées sur l’île de Pâques (ou Rapa Nui dans la langue locale) il y a environ 900 ans, indique Simpson, actuellement à la faculté du DuPage College.

« Selon la tradition orale, la population fondatrice de Rapa Nui se composait à l’origine des passagers de deux pirogues, conduites par le premier chef de l’île, le roi Hotu Matu’a ».

Au fil des ans, la population s’est élevée à des milliers d’habitants, formant la société complexe à l’origine de la sculpture des statues qui font aujourd’hui la renommée de l’île de Pâques. Ces statues ou Moai «Têtes de l’Île de Pâques», ont en fait des corps entiers qui ont été partiellement enterrés avec le temps. Ces Moai qui sont la représentation d’importants ancêtres Rapa Nui, sont au nombre de près d’un millier, et le plus grand mesure plus de 20 mètres de haut.

Selon Simpson, la taille et le nombre des Moai suggèrent une société complexe. « L’ancien Rapa Nui avait des chefs, des prêtres et des guildes d’ouvriers qui pêchaient, cultivaient et construisaient les Moai. Il devait y avoir un certain niveau d’organisation sociopolitique, pour pouvoir sculpter près d’un millier de statues ».
 

Statues de l'île de Pâques à Rano Raraku. (Image : Dale Simpson, Jr.)
Statues de l’île de Pâques à Rano Raraku. (Image : Dale Simpson, Jr.)
 

Dans la carrière de statues située dans la région intérieure de Rano Raraku des fouilles récentes menées par Jo Anne Van Tilburg de l’Institut d’Archéologie de Cotsen, UCLA, et directrice du Easter Island Statue Project et une équipe archéologique de Rapa Nui, ont permis de mettre à jours quatre statues . Pour mieux comprendre la société qui a fabriqué ces statues, Simpson, Dussubieux et Van Tilburg ont examiné en détail 21 des quelques 1 600 outils en basalte récupérés lors des fouilles de Van Tilburg.
 

Exemples de statues de l'île de Pâques, ou Moai. (Image: : Dale Simpson, Jr.)
Exemples de statues de l’île de Pâques, ou Moai. (Image: : Dale Simpson, Jr.)
 

Environ la moitié des outils récupérés, appelés toki, sont des fragments qui suggèrent comment ils ont été utilisés. Pour Van Tilburg, l’objectif du projet était de mieux comprendre comment interagissaient les fabricants d’outils et les sculpteurs de statues, et de mieux comprendre le fonctionnement de l’industrie de la production des statues. Dussubieux explique : « Nous voulions savoir d’où provenaient les matières premières utilisées pour fabriquer les artefacts. »

« Nous voulions savoir si les gens extrayaient ces matériaux près de chez eux. »

Sur l’île de Pâques, il y a au moins trois sources différentes utilisées par les Rapa Nui pour fabriquer leurs outils en pierre. Les carrières de basalte s’étendent sur une surface de 12 000 m², soit la superficie de deux terrains de football. Ces différentes carrières, les outils qui en sont issus, et les déplacements entre les sites géologiques et les sites archéologiques mettent en lumière la société préhistorique Rapa Nui. Dussubieux a ajouté : « Le basalte est une roche grisâtre qui ne ressemble à rien de spécial, mais lorsque vous regardez la composition chimique des échantillons de basalte provenant de différentes sources, vous pouvez voir des différences très subtiles dans la concentration des différents éléments. »

« Les roches de chaque source sont différentes en raison de la géologie de chaque site. »

Dussubieux a dirigé l’analyse chimique des outils en pierre. Les archéologues ont utilisé un laser pour couper de minuscules morceaux de pierre des toki et ont ensuite utilisé un instrument appelé spectromètre de masse pour analyser les quantités des différents éléments chimiques présents dans les échantillons. Selon Simpson les résultats indiquent que cette société nécessitait une bonne dose de collaboration. Simpson a expliqué : « La majorité des toki provenait d’un complexe de carrières - une fois que les gens trouvaient la carrière qui leur convenait, ils y restaient. »

« Le fait que tout le monde utilisait un seul type de pierre, laisse à penser qu’ils collaboraient. C’est la raison de leur succés - ils travaillaient de pair. »

Pour M. Simpson, ce niveau de coopération à grande échelle contredit la croyance populaire selon laquelle les habitants de l’île de Pâques se sont retrouvés à court de ressources et qu’une guerre civile les auraient conduits jusqu’à l’extinction : « Il y a tellement de mystères autour de l’île de Pâques, parce qu’elle est si isolée, mais sur l’île, les gens interagissaient énormément, et aujourd’hui encore, les interactions sont considérables. »

Alors que la société a été décimée à la suite de l’arrivée des colons et de l’esclavage, la culture Rapa Nui a persisté.

« Il y a des milliers de Rapa Nui en vie aujourd’hui - la société n’a pas disparu. »

M. Van Tilburg recommande la prudence dans l’interprétation des résultats de l’étude : « L’utilisation quasi exclusive d’une seule carrière pour produire ces dix-sept outils permet de mieux comprendre la spécialisation des métiers basés sur l’échange d’informations, mais nous ne pouvons pas savoir à ce stade si l’interaction a été collaborative. »

« Cela a peut être aussi été coercitif. Le comportement humain est complexe. Cette étude encourage la poursuite de la cartographie et de l’approvisionnement en pierre, et nos fouilles continuent d’apporter un nouvel éclairage sur la sculpture des Moai. »

En plus de potentiellement ouvrir la voie à une perspective plus nuancée concernant l’histoire du peuple Rapa Nui, Dussubieux note que cette étude est importante en raison d’une représentation plus vaste du fonctionnement des sociétés : « Ce qui se passe dans ce monde correspond à un cycle, et ce qui advenu dans le passé se reproduira. »

« La majorité des gens ne vit pas sur une petite île, mais ce que nous apprenons des interactions entre les gens dans le passé est très important pour nous maintenant, parce que ce qui façonne notre monde c’est comment nous interagissons. »

Source : Field Museum

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