Les contacts physiques, dont le toucher, ont une implication très forte sur les pensées et les sentiments d’un être, car ils sont un facteur de connexion entre les hommes. Lorsqu’une personne s’approche de quelqu’un, elle peut ressentir ses signaux de force ou de faiblesse, parce que le corps humain émet un langage non verbal et transmet des messages.
La peau est l’organe le plus étendu du corps, elle capte diverses formes de ressenti. Il est reconnu que le sens du toucher ouvre au monde. Tout individu a déjà eu l’occasion d’avoir la sensation de s’abandonner et de se recentrer sur soi, justement parce qu’une autre personne était là.
Il apparaît que l’essence du ressenti va de pair avec le toucher.
Le toucher : les contacts physiques sont indispensables pour le corps comme pour l’esprit
L’humain n’est vraiment humain que lorsqu’il peut toucher, entrer en contact avec un autre être humain. Dans notre système social, le fait de rencontrer l’autre physiquement, est une étape importante dans la communication ou la construction d’un partenariat d’affaire, d’un échange ou d’une amitié.
Actuellement, les sociétés vivent dans un monde où le contact physique ne doit plus faire partie du quotidien. La distanciation liée à la pandémie, entame un processus de pensées qui semble avoir été souhaité depuis le siècle des lumières, où la raison prédomine.
Toutefois, au cours de l’histoire, la proximité physique a toujours été considérée comme la normalité. L’homme vivait en cohabitation forcée, en groupe et dans une grande proximité physique.
L’histoire de l’humanité nous enseigne au cours des siècles précédents que la proximité physique était incontournable. Déjà, au Moyen Âge, le toucher était omniprésent. Dans les cérémonies jusque dans les symboles du pouvoir, le rapport au toucher était très important. Le Roi avait un pouvoir sacré de soigner par le toucher et prononçait cette phrase : « Le roi te touche, Dieu te guérit ».
Selon le philosophe John Locke et l’écrivain Denis Diderot du XVIIIe siècle, le toucher est vu comme un outil de connaissance permettant d’appréhender des situations. D’ailleurs, pour les gens qui ne savaient ni lire, ni écrire, le contact corporel représentait une monnaie sûre, un engagement. Au Moyen Âge, les gens du peuple vivaient et dormaient dans un espace restreint, parfois ils partageaient leur couche avec le bétail. À cette époque, les lits individuels étaient très rares et dans les auberges, il pouvait arriver que l’on fasse mettre deux clients dans le même lit. Ce qui, aujourd’hui, serait inconcevable.
Au siècle des Lumières, la raison va dominer la pensée humaine. Elle devra commander nos sens et non les instincts les plus bas. Pour les philosophes comme Rousseau et Montaigne, la main qui touche ne réfléchit pas, car elle ne fait que ressentir. Désormais, trop ressentir devient synonyme d’un manque de réflexion. Et, c’est de cette manière que l’œil et la vue vont prendre le dessus sur la main et le toucher. Il sera très important de bien voir, bien percevoir, d’avoir une vision juste. Progressivement le toucher arrivera en dernier dans la hiérarchie des 5 sens.
Pour Cloutier Richard, psychologue de l’adolescence et des jeunes enfants, dès le ventre maternel, le toucher est le premier sens à apparaître avant la vue, l’ouïe où tout autre sens. On sait à quel point il est important pour les jeunes enfants d’avoir des contacts physiques. Ils veulent goûter, sentir et comprendre leur environnement. Du XVIIIe siècle au début du XXe siècle, l’enfant est considéré comme un être mû par ses instincts, qu’il faut guider vers la raison.
Selon un manuel d’éducation française du XVIIIe siècle, de Condillac, Helvétius et Rousseau, l’enfant ne doit pas toucher tout ce qui l’entoure. Il peut toucher avec les yeux, mais pas avec les mains. Cela prouve à quel point on jugeait le toucher dangereux.
Dans un livre allemand de 1844 sur l’éducation des enfants, du docteur Heinrich Hoffmann, intitulé Pierre l’ébouriffé, il apparaît que le besoin essentiel de se toucher fait l’objet d’une terrible sanction. L’enfant qui suce son pouce pouvait se faire brutalement couper le doigt. C’était une forme d’éducation extrêmement répressive, une pédagogie noire. Au cours du XXe siècle encore, les enfants se feront sévèrement réprimander par le père contre cette manie.
Il faudra attendre l’arrivée du nouveau millénaire, pour que les enfants européens bénéficient d’une loi leur garantissant une éducation sans violence. La Convention relative aux droits de l’enfant de 1989, va protéger les droits spécifiques de l’enfant. Et l’article 371-1 du Code Civil stipule que « Les enfants ont droit à une éducation sans violence ». Longtemps, il leur était interdit toute forme de proximité et de tendresse. Il ne fallait pas trop jouer avec eux, pas trop les caresser. Il fallait les laisser pleurer dans leur lit. C’était une éducation très sévère guidée par la raison.
Pour les neuroscientifiques ayant étudié les effets du toucher sur le cerveau humain, il existerait deux types de perception tactile. La perception tactile manuelle qui transfert des informations au cerveau par les fibres nerveuses et la perception haptique par le mouvement de la main entrant en contact avec un objet. L’intensité tactile est moins développée sur le corps que sur les doigts qui sont voués à l’exploration du monde extérieur. C’est ainsi que l’homme aime toucher les objets qu’il voit, il touche dans les supermarchés, dans les boutiques de vêtements, les boutiques d’accessoires, il touche pour choisir le meilleur article, car la main donne au cerveau une information de fiabilité.
Contrairement aux conceptions du XVIIIe au XXe siècle, la main est loin d’être une marionnette. Au contraire, elle peut être un langage dans la communication, dans la relation à l’autre, dans le choix d’un achat. Lorsque l’information arrive au cerveau, elle est évaluée en fonction des attentes, de l’expérience de chaque personne et du contexte d’une situation.
Selon Nafissa Ismail, professeure agrégée de l’École de Psychologie de l’Université d’Ottawa au Canada, le toucher est « le moyen de communication fondamental pour l’humain »,… Le toucher va « stimuler la dopamine, l’hormone responsable dans la sensation de plaisir, la sérotonine aussi, et l’ocytocine qui elle est impliquée au niveau de l’attachement… Des contacts physiques réguliers permettent donc de se sentir rassuré, en sécurité, aimé, en plus de diminuer le niveau de stress et de favoriser la confiance en soi et la socialisation, notamment. À l’inverse, l’absence de toucher contribue à augmenter les risques de dépression et d’autres troubles, comme les troubles alimentaires »
C’est ainsi qu’un toucher bienveillant joue un rôle crucial dans la santé mentale des humains. Il s’avère donc que le toucher est essentiel pour la santé physique de l’humain, de la naissance à la mort.
La distanciation : Une vie sans contact est-elle imaginable ?
L’année 2020 nous a laissé entrevoir une vie sans contact physique avec la pandémie du Covid-19. La planète entière a dû se plier à des mesures drastiques de distanciation physique. Le toucher est devenu synonyme de danger. Toute proximité physique est désormais proscrite à ce jour.
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Lors d’une allocution TV, la chancelière allemande a dit : « En temps normal, les contacts et la proximité physique sont des marques d’attention, mais actuellement c’est malheureusement le contraire. Prendre soin de l’autre, c’est garder ses distances », selon BFMTV.
Chaque individu doit se protéger des autres et la distanciation est de rigueur. L’isolement est le meilleur moyen de se protéger. Le scepticisme ayant envahi le quotidien, l’autre représente un danger potentiel. On voit des gens se lever dans le train et changer de place, s’écarter dans les magasins. On se croise avec méfiance. Tout devient suspicieux et la peur s’installe dans la conscience collective.
Les lieux de rencontre sont désertés. Fini, la proximité amicale. Au lieu de cela, c’est chacun pour soi, chacun chez soi, on s’isole à la maison, on fait du shopping en ligne, on se réunit en visioconférences.
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Restez chez vous et restez seuls sont les mots d’ordre des Gouvernements. C’est ultra libéralisme, chacun travaille dans sa petite bulle et il n’y aura plus de société comme disait Margaret Thatcher. « La société c’est fini ». L’homme semble être maintenant protégé des défis qu’impliquent tout contact avec autrui. Le voilà libéré de la présence parfois envahissante d’un voisin, d’un parent ou d’un ami. L’isolement est le maître mot.
Actuellement, le toucher est difficile à mettre en pratique, car les humains se rapprochent et communiquent dès que l’occasion se présente. Il n’est donc pas surprenant que certains aient du mal à respecter les consignes de distanciation physique, « car nous sommes biologiquement programmés pour rechercher des contacts physiques », selon Nafissa Ismail. Si les familles vivant sous un même toit peuvent être ensemble et se transmettre des signes d’affection, la situation est particulièrement difficile pour les personnes célibataires ou les aînés, dont certains vivaient déjà de la solitude et se trouvent maintenant complètement confinés. Mais cette problématique n’est pas uniquement réservée aux personnes du grand âge, les jeunes étudiants et les lycéens vivent très mal l’isolement. Certains sont particulièrement stressés et contraints de consulter des psychologues pour les aider à surmonter leur désarroi.
Il apparaît dès lors, l’importance qu’il y a à toucher l’autre, parce qu’il y a à travers le geste, les émotions, les sensations et le langage du corps, un équilibre physiologique et un bien-être général qui apparaissent et rassurent beaucoup l’être humain.
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