Après les fêtes de Noël et du Nouvel An, suivies immédiatement de l’Epiphanie et de sa traditionnelle galette, le mois de février est encore une occasion d’organiser des réjouissances avec la période du Carnaval.
Si dans de nombreuses régions de France, le Carnaval n’est plus guère célébré que chez les plus jeunes à l’école, cette fête est encore bien présente dans certains pays d’Amérique (pays de la Caraïbe, Brésil, Nouvelle-Orléans aux USA…) mais aussi dans certaines villes d’Europe (Venise en Italie, Cologne en Allemagne, Tenerife en Espagne), avec entre autres, quelques villes françaises où la tradition perdure (Nice, Dunkerque).
Le carnaval, une origine païenne ?
La période carnavalesque débute officiellement après l’Epiphanie et se prolonge jusqu’aux Jours Gras où elle atteint son apogée de liesse et de cavalcades, laissant ensuite place à la période de sobriété et de retenue du Carême.
En effet, le Carnaval s’inscrit intimement dans l’histoire du Christianisme en Occident et constitue l’un des rythmes du cycle des fêtes calendaires.
Mais, comme de nombreuses traditions, ses origines se perdent souvent dans la continuité de célébrations plus anciennes, dites païennes. Celles-ci se déroulaient à la même période de l’année, se manifestant pas une inversion de l’ordre établi célébrant l’inversion des saisons avec la fin de l’hiver et l’arrivée toujours très attendue du printemps… Le paysan devenait roi, l’humain animal, l’homme se travestissait en femme avec parfois même l’abolition momentanée de certaines règles sociales…
Ainsi, il y a plus de 2200 ans, les Babyloniens pratiquaient déjà des rites connus sous le nom de « Sacées » en l’honneur de la déesse Anaïtis où les rôles s’inversaient entre maîtres et esclaves. Un condamné à mort devenait même, l’espace de cinq jours, roi de la contrée, profitant de tous ses privilèges, avant d’être finalement flagellé puis pendu en place publique.
D’aucuns relient d’ailleurs les Sacées à la fête juive de Pourim, se déroulant entre février et mars et mêlant aussi déguisements, festins et inversion des rôles.
Plus tard, dans l’Antiquité, les Saturnales romaines célébraient au solstice d’hiver le dieu de l’agriculture Saturne avec les mêmes rites d’inversion des rôles et de mascarades à travers les rues.
Parallèlement, en Grèce, les Dionysies rendaient hommage au dieu du vin et de la fécondité, Dionysos, par des rites similaires.
L’arrivée du Christianisme en Europe au Moyen-Âge n’aurait fait que reprendre ces rites romains pour les intégrer dans le cycle des célébrations chrétiennes. Avant l’arrivée du Carême commémorant les 40 jours du Christ dans le désert et juste après les fêtes de Noël et d’Epiphanie marquant la naissance du Sauveur et sa reconnaissance par les rois du monde, le Carnaval est une période de liesse et de joie ou l’inversion des rôles et l’art de se grimer s’exposent au vu de tous lors de parades et mascarades.
Le combat de Carnaval et Carême - peinture de Peter Brueghel l’Ancien – 1559. (Image : Wikimedia / Pieter Brueghel the Elder / Domaine public)
Intimement lié au Carême qu’il précédait, l’origine du mot Carnaval viendrait du latin « Carne levare », signifiant littéralement « enlever la viande ». En effet, le Carême est une période d’abstinence, de sobriété et de prière où la viande, mais aussi le lait, les graisses et le sucre doivent être le plus possible bannis des menus du quotidien. A l’inverse, les Jours Gras du Carnaval sont une période où l’on consomme des aliments gras et sucrés qui régaleront petits et grands.
Si en Belgique, les gaufres sont à l’honneur, en France et en Italie, ce sont les beignets qui sont dégustés pendant les Jours Gras : les ganses du Sud de la France, frits à l’huile d’olive puis recouverts de sucre glace, les bugnes lyonnaises, les merveilles du sud-ouest mais aussi de la Suisse sont autant de pâtisseries simples réalisables par les plus humbles avec de la farine, du lait et des œufs, frits dans du beurre ou de l’huile.
Le sucre n’est pourtant pas l’apanage de toutes les régions : la feijoada, plat de haricots noirs avec du porc et du riz est très prisé au Portugal et au Brésil. A Binche, en Belgique, ce sont les huitres et le champagne qui sont mis à l’honneur…
Outre les spécialités culinaires, chaque région présente aussi des spécificités culturelles parfois surprenantes.
Quelques Carnavals de par le monde
Le Carnaval de Rio est sans doute le plus célèbre au monde. La capitale du Brésil s’embrase au son de la Samba, danse traditionnelle carnavalesque, pendant les quatre Jours Gras qui précèdent le mercredi des Cendres, début du Carême. Les danseuses vêtues de plumes et de strass nous sont familières, mais l’origine du Carnaval de Rio, elle, reste pourtant assez incertaine.
« A Rio, les écoles de samba du Groupe spécial se produisent au Sambodromo da Marquês de Sapucaí, le deuxième jour des défilés ». (Image : Fernando Frazão / AgênciaBrasil / CC BY 3.0 BR)
Il est admis que la fête portugaise de l’« Entrudo » serait à l’origine de ce carnaval, et lors du premier bal de Carnaval à Rio en 1840, on y dansa la polka et la valse, mais non la samba qui fit son apparition seulement en 1917. Le Portugal, tout comme les autres pays d’Europe, suivait la mode inspirée de l’Italie, qui mettait l’accent sur les bals costumés et masqués. À cela, s’ajoutèrent parallèlement les coutumes africaines des esclaves brésiliens qui, eux aussi, participaient au Carnaval. Plumes, os, herbes et pierres étaient autant d’accessoires utilisés pour la confection des masques et costumes, et qui ont laissé une empreinte indélébile dans la spécificité des costumes actuels du Carnaval de Rio.
Le carnaval de Rio, comme presque tous les Carnavals de la Caraïbe et, plus généralement, des Amériques, constitue un concentré du métissage ethno-culturel de cette région du monde.
Mais l’origine des défilés et cavalcades dans les rues est bien moins connue et proviendrait en fait, selon Felipe Ferreira, professeur de culture et arts populaires à l’Université d’État de Rio de Janeiro, du Carnaval de Paris !
Ce spécialiste de l’histoire du Carnaval explique sur Wikipédia, qu’en fait « l’idée de mouvement se joint au concept de diversion et influence la manière dont le Parisien occupe son temps libre (après 1830). Le carnaval de la capitale française va incorporer ce concept de déplacement dans les promenades effectuées pendant la période carnavalesque. Et c'est ainsi que se promener à pied ou en voiture sur les grands boulevards, revêtus de costumes élégants, occupera les après-midi froides du carnaval de Paris. C’est ce modèle d’occupation festive des rues que l’élite carioca décide d’importer et d’adapter au carnaval de Rio de Janeiro. Après leur implantation, les bals masqués sortent peu à peu dans les rues sous formes de mascarades. »
Billet d’entrée au Bal de l’Opéra du Carnaval de Paris en 1843. (Image : wikimedia / Domaine public)
En cette période spéciale où le pouvoir des nobles est remis en cause, non seulement en France, mais aussi dans nombre de pays influencés par la Révolution française, la bourgeoisie carioca s’empare de cette « mode parisienne » et délaisse les traditions carnavalesques portugaises de l’Entrudo. Outre les défilés, apparaitront aussi de nouveaux personnages du carnaval français, comme le décrit l’hebdomadaire carioca, la Semana Illustrada, en date du 7 février 1864 : « Même les dénominations se francisent complètement, et les pierrots, les débardeurs, les zouaves apparaissent dans la société brésilienne comme s’ils avaient droit de cité. »
En Europe, le Carnaval de Venise tient encore le haut du pavé. Probablement l’un des plus anciens au monde, il est cité dès 1094 et fait la part belle aux somptueux costumes traditionnels ! Il débute par la « Festa delle Marie » (Fête des Marie) qui existe depuis 946. À cette occasion, lors de la fête de la Purification de la Vierge Marie dans la Cathédrale San Pietro du Castello, on bénissait 12 futurs couples. Mais en 946, des pirates firent irruption et enlevèrent les 12 jeunes filles ainsi que les bijoux et objets précieux de leur dot. Les Vénitiens ne se laissèrent pas faire et se lancèrent à la poursuite des pirates, ils purent récupérer les jeunes filles et leur dot. Depuis, la bénédiction des jeunes filles lors de la fête des Maries devint le point central des jours de fête et donna lieu à de telles dépenses qu’au XIVè siècle, le gouvernement de la ville finit par remplacer les jeunes filles par des figurines en bois, entrainant alors sa disparition. La fête ne renaîtra qu’en 1980 avec la réhabilitation du Carnaval de Venise.
Couple au Carnaval de Venise - L’habit traditionnel masculin : longue cape noire (« tabarro »), masque blanc (« bauta ») et tricorne. (Image : Wikipédia / CC BY-SA 3.0)
Aux Antilles et en Guyane, le carnaval est une institution. En Guadeloupe, chaque dimanche, entre l’Epiphanie et les jours gras, des dizaines de groupes carnavalesques défilent dans l’une des communes de l’île. S’il est de coutume d’être stoppé sur la route par les « Ti Mas », petits groupes épars de jeunes déguisés et masqués barrant la route pour quémander quelques sous au son de 2 ou 3 instruments de fortune, les défilés du dimanche après-midi nécessitent une organisation bien plus importante.
On y retrouve les groupes « à Po », habillés de matières naturelles ou recyclées et faisant claquer de longs fouets, en hommage, selon eux, à la souffrance endurée par les ancêtres esclaves sous les coups de fouets des maîtres. Sur un rythme quasi militaire, les carnavaliers « déboulent » dans les rues au son de la musique « Sen Jan » (Saint-Jean), utilisant des conques de lambis, des ka (tambours couverts de peaux d’animaux) et des chachas. Les groupes les plus nombreux sont ceux « à caisses claires », car accompagnés d’un orchestre de cuivres. Ils portent des costumes colorés et variés sur des thèmes écologiques, culturels ou politiques, mais toujours empreints d’une forte créativité. Le clou du spectacle arrive pendant les Jours Gras avec la parade du Dimanche Gras à Pointe-à-Pitre et la Grande Parade du Mardi Gras à Basse-Terre. Il faut souligner l’effet particulier des costumes agrémentés de lumières scintillantes, lors du traditionnel défilé nocturne du Lundi Gras à Basse-Terre.
Le Mercredi des Cendres, premier jour du Carême, mais véritable dernier jour du Carnaval aux Antilles, correspond au jour de deuil pour la mort de Vaval, pantin géant, installé sur un char, qui fait le tour de la ville jusqu’à la tombée de la nuit. Vaval est une représentation satyrique de l’environnement politique et social de l’année passée. Une fois le soleil couché, à la fin d’un défilé en noir et blanc, Vaval est brulé sur la place publique…
Le Groupe à pô « Moun ki Moun » (MKM) lors du « déboulé » de « Woy Mi Mas » dans la Ville des Abymes, le 9 février dernier. Avec le thème très sensible de l’endométriose, pathologie qui touche malheureusement de nombreuses femmes, MKM a fait l’unanimité et remporté le prix du Jury. (Photo : VisionTimes)
Le Carnaval demeure donc un moment fort, non seulement de fête, mais aussi de créativité, de solidarité et d’entraide entre carnavaliers. Si, depuis des siècles, il permet de tisser des liens entre les populations, quel que soit leur rang social ou leur race, il est aussi, dans certaines régions comme les Antilles, un outil de sensibilisation aux problématiques écologiques, sanitaires, sociales et même parfois politiques !
Mais, derrière les masques et les déguisements se dissimulent parfois des intentions bien moins positives, allant des incivilités à des actes parfois criminels… La nécessité d’encadrer les groupes par des agents de sécurité a donc fait surface, mais les moments de liesse et de détente attirent chaque année de nouveaux carnavaliers, parfois encore bien jeunes !
Nul doute que le Carnaval a encore de beaux jours devant lui !
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