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Tradition. Des tactiques militaires sur papier

CHINE ANCIENNE > Tradition

Tactiques militaires sur papier. (Image : Adriano Gadini / Pixabay)
 

« Des tactiques militaires sur papier » est une expression idiomatique de quatre caractères utilisée dans la Chine ancienne pour décrire le destin d’un général chinois imprudent. À présent, ce proverbe est utilisé pour nous rappeler simplement combien de choses qui ont du sens sur le papier se traduisent par un échec dans la vie réelle. 

L’expression est devenue partie intégrante de l’expression littéraire chinoise. « Des tactiques militaires sur papier » est une affirmation concise, nette, et souvent malheureusement juste, décrivant des échecs épiques, anciens ou récents. Nous allons vous donner ici quelques exemples issus de l’histoire contemporaine avant de vous relater l’épisode historique d’où l’expression est issue. 

« Mission accomplie » 

En 2003, l’invasion de l’Irak par les États-Unis fut une victoire militaire totale. Le dictateur Saddam Hussein a été retrouvé dans un sous-sol et traduit en justice. Après une opération d’à peine un mois, le Président George W. Bush prononça son discours iconique « Mission Accomplie » sur le pont du porte-avion Abraham Lincoln. 

Plus d’une dizaine d’années plus tard, après s’être débarrassé de la brutalité de Saddam Hussein, la nation irakienne fait encore face à de sérieux conflits inter-ethniques et religieux, principalement sous la forme d'ISIS, l’organisation terroriste apocalyptique qui a envahi la majeure partie du nord de l’Irak. Les États-Unis ont peut-être eu la force et les préparations suffisantes pour gagner la guerre, mais pas la paix. 

Construis-le, Josef 

« Les tactiques sur papier » ne sont pas nécessairement limitées à la guerre. Josef Staline, le maître de la Russie Soviétique, insista sur l’industrialisation rapide à tout prix, même si cela signifiait l’esclavage et la famine pour des millions de personnes. Afin de célébrer le soi-disant paradis des travailleurs sous le régime communiste, Staline ordonna la construction du « Palais des Soviets », qui devait être construit à Moscou. La Cathédrale du Christ Sauveur fut démolie pour lui faire place. 

Devant mesurer 410 mètres de haut, le Palais des Soviets aurait été plus grand que l’Empire State Building et que la Statue de la Liberté réunis. Comme si ce n’était pas suffisant, une Statue de Lénine de la taille de la Statue de la Liberté, le fondateur de l’Union Soviétique, devait être ajoutée au grand édifice. 

 

(Image : 该图片由 /StockSnap / 在 / Pixabay /上发布)
C’est la rapidité qui compte. (Image : 该图片由 /StockSnap / 在 / Pixabay /上发布)

Comme l’idéologie qui lui donna naissance, le Palais des Soviets n’était rien de plus qu’un magnifique coup de bluff. À la moitié de la construction, les ingénieurs soviétiques découvrirent que le sol meuble et marécageux de Moscou ne supporterait jamais un bâtiment aussi ambitieux. De plus, le projet exigeait un immeuble si haut que la Statue de Lénine aurait percé les nuages, de sorte que l’on n’aurait pu voir que ses genoux les jours de mauvais temps. Le site de construction devint la plus grande piscine du monde, et, à la suite de l’effondrement du communisme en 1991, la cathédrale d’origine fut reconstruite. 

Une sorte de Liberté 

Dans le cas du Liberia en Afrique de l’Ouest, toute une nation fut créée à partir de désirs ambitieux et irréalisables. Le pays vit le jour comme un mouvement du 19ème siècle visant à « faire revenir » les Afro-Américains libérés de l’esclavage en Afrique. 

Ceux qui se rendirent au Liberia étaient Américains de cœur et ne s’entendaient pas bien avec les populations locales, indépendamment des communautés raciales superficielles. Le pays a souffert de grosses difficultés économiques ainsi que des guerres destructrices, violentes et civiles, qui prirent fin seulement dans les années 2000. 

Un aspect commun des situations des « tactiques sur papier » est qu’ après avoir pris du recul, le plan impeccable apparait comme étant rempli de failles. Parfois, nous avons besoin d’une expérience vécue pour voir les failles résidant dans notre pensée originelle. 

L’échec originel 

L’expression idiomatique « Des tactiques militaires sur papier » se réfère directement à la Bataille de Changping. Ce fut l’une des batailles les plus meurtrières et les plus décisives relatée par les historiens de la Chine ancienne. 

Ici entre en scène Zhao Kuo, le sujet tragique de notre expression. 

Durant la dernière étape de la Période des États en Guerre (475-221 avant J.C), le puissant état de Zhao se tint sur le chemin du royaume naissant des Qin. Durant le troisième siècle avant Jésus-Christ, dirigé par les grands commandants Lian Po et Zhao She, les armées de Zhao résistèrent efficacement contre les forces de Qin. 

Tout ceci changea lorsque Kuo, le fils de Zhao She, se vit remettre les commandes des troupes de l’état. 

Depuis son plus jeune âge, Zhao Kuo s’immergeait dans les théories militaires et était un mordu du jeu d’échec. Il gagnait même toujours contre son père. Mais le vieux Zhao n’était pas impressionné. Les expériences de Kuo étaient limitées aux théories qu’il avait apprises dans les livres, et il n’avait aucune idée de à quoi ressemblait une guerre. Un homme qui réduisait des soldats vivants à de simples pièces d’échiquier ne ferait jamais un bon général. 

Zhao She mourut peu après. Bien que son camarade Lian Po retenait efficacement les envahisseurs de Qin dans la région clé de Changping, le roi de l’état de Zhao était mécontent de l’absence de victoire décisive et voulait de meilleurs résultats. Il fit appel au jeune, inexpérimenté et arrogant Zhao Kuo. Le roi ignora les avertissements de la mère de Kuo, à qui le vieux Zhao avait parlé de l’incapacité de son fils, et Kuo se rendit au front pour remplacer Lian Po. 

 

S'emparer des deux villes de Jiangpu et Pukou, dans le bataille de Jiufuzhou, dynastie Qing Crédit:(Image : Musée national du Palais, Taipei / @CC BY 4.0)
S’emparer des deux villes de Jiangpu et Pukou, dans le bataille de Jiufuzhou, dynastie Qing. (Image : Musée national du Palais, Taipei / @CC BY 4.0)
 

Finalement, général désigné, Zhao Kuo abandonna immédiatement les solides forteresses défensives qui avaient été précédemment utilisées par Lian Po et par son père. Il allait passer à l’offensive, et la Bataille de Changping avait commencé. 

Rassemblant près d’un million d’hommes, Zhao ordonna une avance rapide en direction des positions de Qin. À son insu, les troupes de Qin furent dirigées par le génie Bai Qi, qui était pleinement conscient de l’inexpérience et du tempérament téméraire de son opposant. 

Bai Qi laissa Zhao remporter quelques petites victoires, et il fit comme si ses troupes battaient en retraite et étaient dans la confusion. Zhao Kuo força l’attaque et tomba dans le piège: Alors que sa grande armée avait atteint la forteresse de Qin, les archers ennemis et la cavalerie commencèrent à encercler et à assiéger les agresseurs. Bien qu’en nombre réduit, Bai Qi avait bien positionné ses hommes. Ils divisèrent l’armée de Zhao et empêchèrent les renforts d’arriver. 

Ayant neutralisé son rival, Bai Qi fit venir des centaines de milliers de jeunes hommes de l’État de Qin afin de renforcer ses armées qui avaient survécu au siège. Alors que les jours et les semaines passaient, Zhao Kuo vit ses espoirs diminuer de plus en plus. 

Zhao Kuo fut piégé non seulement par les armées de Qin mais aussi par lui-même. Les vastes connaissances théoriques qui lui étaient si utiles dans les jeux d’échecs sans vie finirent par le propulser dans les limites de son inexpérience pratique. 

46 jours plus tard, la puissante armée de Zhao était épuisée, démoralisée, et affamée. Zhao Kuo essaya de s’échapper du champ de bataille avec 5000 troupes d’élite mais il fut tué. Sans leur commandant, les armées de Zhao qui avaient survécu se rendirent. 

Mais le général Qin Bai Qi n’eut aucune pitié. Voyant cette masse de prisonniers affamés comme une responsabilité, il les fit tous exécuter. Le massacre—de plus de 400 000 hommes au total—resta dans les mémoires comme l’une des plus grandes atrocités de toute l’histoire de la Chine. 

 

Traduit par Constance Ladoux

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