Il y a quelques années, Charlie Munger, aujourd’hui vice-président de Berkshire Hathaway, a été invité à prononcer un discours devant les diplômés d’une université. Le sujet était bien sûr celui de la réussite, thème favori des jeunes loups !
Mais M. Munger n’a pas souhaité aborder le sujet sous cet angle, préférant analyser les leçons issues de nos propres échecs. Selon lui, la raison principale de l’échec est de tirer les leçons de votre propre expérience sans jamais chercher à apprendre des erreurs des autres.
Dans le même esprit, Ray Dalio, le fondateur de Bridgewater Associates, le leader des hedge funds, se trouvait, il y a quelques jours en plein coeur de la tempête de Wall Street. Il a fait le même constat : la plus grande erreur de ma carrière, a-t-il précisé, vient souvent de signes que je n’ai pas vécus directement, mais qui ont été envoyés à plusieurs reprises dans le cours de l’histoire.
Ce qui se passe aujourd’hui, est un événement que nous n’avons jamais vécu au cours de notre vie. Face à ces inconnues et incertitudes extérieures, l’histoire nous envoie-t’elle un signal ? Il est dit que l’histoire est la véritable source du futur, alors, êtes-vous prêt ? Si c’est le cas, embarquons pour un voyage qui va nous ramener à près de 100 ans en arrière !
Tout commence par la prospérité
Le 4 décembre 1928, Calvin Coolidge (1872-1933), 30ème président des Etats-Unis, prononce son discours sur l’état de l’Union : « Nous n’avons jamais eu une prospérité aussi prometteuse que celle d’aujourd’hui ! Nous sommes au coeur d’un boom économique, sans précédent ! »
La révolution technologique des années 1920 a fait entrer l’économie américaine dans ses années les plus prospères. 1919-1929, une décennie qui sera passée à la postérité sous le nom de Grande Dépression, a été une période de rêve pour les ventes de radios et la production automobile !
La publicité s’est invitée dans des milliers de foyers grâce aux radios qui se vendaient bien. La radio à l’époque était comme Internet aujourd’hui. L’une des valeurs les plus populaires de la bourse américaine à l’époque était AT&T (American Telegraph Telephone), tout comme ces géants de l’Internet aujourd’hui.
Dans ce contexte économique, tout progresse lentement comme une montgolfière qui s’élève, mais une seule chose, comme une horloge mécanique suisse, reste immuable : les salaires.
Aux États-Unis, dans les années 1920, les revenus des actionnaires des entreprises, augmentaient de 16,4 % par an, alors que parallèlement, les salaires n’augmentaient que de 1,4 %. Entre 1917 et 1928, les 10 % des ménages les plus riches des États-Unis ont enregistré une augmentation de 50 % de leur revenu total. L’écart de revenu aux États-Unis a atteint un niveau record avant le début de la Grande Dépression.
Une stagnation fatale
Pourquoi les revenus des entreprises et les salaires ne pouvaient-ils pas évoluer de manière synchrone ?
Un des facteurs était que le crédit était très souple dans l’ensemble de l’économie à cette époque. Les taux d’intérêt étaient si bas que cela facilitait l’emprunt d’argent : ce qui a par conséquent conduit les entreprises à accroître leurs investissements et leur production.
Pour réaliser des économies d’échelles, un grand nombre de fusions et d’acquisitions entre entreprises ont commencé à se produire : près de 12 000 entreprises des secteurs du service public, de la banque, de l’industrie manufacturière et de l’exploitation minière ont été impliquées. 1591 chaînes de 26 industries ont englouti 10 519 magasins de vente au détail. Le cas le plus célèbre est celui de General Motors. Une série de fusions et d’acquisitions par General Motors dans les années 1920 a finalement permis à l’inventeur de l’automobile, Ford, de remporter le marché en 1927 et de devenir le leader de l’industrie automobile américaine.
Lorsque les grandes entreprises sont aussi puissantes, elles ont un fort avantage concurrentiel, en amont et en aval, y compris sur les salaires : donc un énorme pouvoir de négociation.
L’indice boursier américain, le Dow Jones, a augmenté de plus de 300 % entre août 1921 et octobre 1929, contre une augmentation des salaires de seulement 1,4 %. Alors la Bourse était considérée comme un raccourci vers la fortune.
Un fleuve d’or
À l’époque il n’y avait pas de réglementation, les banques accordaient de nombreux prêts, celles de New York empruntaient de l’argent à la réserve fédérale à un taux de 5 %, puis passaient à 12 % et prêtaient aux gens réunis en files d’attente sur le bord des routes, désireuses d’emprunter de l’argent et spéculer. À cette époque, il était possible d’acheter des actions à crédit, selon un système appelé « call loan ». Ce système permettait aux spéculateurs de se procurer des titres avec seulement une couverture de 10% : ainsi avec un dollar, il était possible d’acheter pour 10 dollars d’action. C’est ainsi qu’une belle bulle spéculative a pu se créer.
D’un seul coup, Montréal, Londres, Shanghai et Hong Kong parlaient du taux d’emprunt de New York, et un fleuve d’or sans fin a commencé à couler du monde entier vers Wall Street. Face à un rendement sans risque aussi élevé, les entreprises ne produisaient plus, mais prêtaient de l’argent à Wall Street, si bien que les institutions financières ont de nouveau tiré parti de leur situation bénéficiaire, prêtant à nouveau à la foule spéculative.
Il y avait aussi un nouveau produit appelé « fonds de placement ». Ainsi, les gens pouvaient participer à des fonds de placement avec seulement cent dollars, et ces derniers empruntaient plus d’argent grâce à un « effet de levier » pour investir dans les actions de 500 à 1000 entreprises, renforçant ainsi la bulle spéculative.
Alors que les taux d’intérêt continuaient d’augmenter, le nombre de personnes qui pouvaient se permettre de participer diminuait peu à peu. La croissance des bénéfices des entreprises, dans un contexte de coûts élevés et de surchauffe, a tranquillement ralenti le taux de croissance. En octobre 1929, les banques, les sociétés, Wall Street, les spéculateurs à effet de levier, tous, comme une grande symphonie, ont frappé la note la plus forte de toute l’ère du boom boursier. Mais il y a eu le déclic : le bruit du levier qui se brise et le grand Krach boursier a commencé, ce jeudi 24 octobre 1929 connu dans l’histoire sous le nom de « Jeudi noir » de la Bourse de New York.
Une dépression mondiale
Pourquoi la spéculation et le Krach boursier se sont-ils transformés en une dépression qui a duré des années ?
La réponse reste inégale. Ce n’est pas le déséquilibre entre les salaires et la croissance des bénéfices des entreprises, mais le déséquilibre entre les économies des différents pays.
À l’époque, les États-Unis possédaient la plus grande réserve d’or. Afin de soutenir l’économie, la Banque centrale américaine a annoncé une augmentation des taux d’intérêt. (Image : Matthias Wewering / Pixabay)
Après le début du grand Krach en octobre 1929, les actifs des banques ont commencé à diminuer à mesure que les cours des actions s’effondraient : les fonds étaient fournis par les banques et il était difficile de les récupérer suite à la chute de l’indice boursier. En conséquence, un grand nombre de banques ont commencé à faire faillite et les spéculateurs voulaient récupérer leurs parts avant qu’elles ne soient dépréciées, si bien que l’emballement s’est répandu comme un virus sur Wall Street.
En d’autres termes, aujourd’hui, l’opération typique de la banque centrale pour sauver le marché est de faire travailler la planche à billets et d’imprimer de la monnaie pour renflouer l’économie. En 2008, c’est avec cette opération que l’AIG et les banques ont pu être sauvées et que l’on a évité une crise majeure comme celle de 1929.
Mais dans le tourbillon de la crise d’il y a 100 ans, l’impression de la monnaie ne fonctionnait tout simplement pas. Parce qu’à cette époque le système monétaire mondial était basé sur le système de l’étalon-or : un système où l’unité de compte, ou étalon monétaire, se référait à un poids d’or. Ainsi, l’émission de monnaie nécessitait la possibilité d’avoir une garantie d’échange en or. Alors le monde a découvert la prison financière de ce système monétaire qui empêchait de mettre en place un sauvetage financier.
À l’époque, les États-Unis, l’une des plus grandes économies, possédaient la plus grande réserve d’or. Afin de maintenir le système monétaire, la Banque centrale américaine a annoncé une augmentation des taux d’intérêt, mais plus le taux d’intérêt augmentait, plus le marché boursier chutait.
De l’autre côté de l’Atlantique, sur le continent européen, l’économie européenne était encore plus sinistrée. De plus, elle détenait encore moins d’or. Alors, face à cette situation inexorable, divers pays européens ont déclaré abandonner l’étalon-or. Ainsi, la dévaluation de la monnaie a entraîné, comme la chute des dominos, les autres économies.
À cette époque, le commerce extérieur était, en plus de la consommation locale, un moyen de croissance économique. Mais lorsqu’une dévaluation commence entre partenaires commerciaux, celui qui dévalue sa monnaie aura un avantage de prix relativement plus important sur son produit. Les économies européennes qui se dépréciaient ont exporté des produits moins chers vers le continent américain, accélérant ainsi l’excédent de produits américains et le déclin économique.
Entre les économies, nous devrions construire des ponts plutôt que des murs. (Image : Gerd Altmann / Pixabay)
Dans ce contexte, le président Hoover a annoncé une augmentation des barrières tarifaires qui, à un moment donné, a atteint près de 50% de hausse ! La crise a été encore aggravée par le fait que chacun érigeait un mur économique pour se protéger et réduisait ainsi les échanges extérieurs : ce qui a entraîné un grave préjudice pour les exportations au niveau mondial. On est ainsi passé d’une crise de liquidité boursière initiale à une crise financière et d’une crise financière à une dépression économique qui a balayé le monde pendant près d’une décennie.
Leçons de l’Histoire
Quelles leçons nous laisse l’histoire :
- Se méfier de toute richesse rapide et de rester à l’écart de l’effet de levier.
- Les entreprises doivent gagner de l’argent en fonction de leur valeur et s’éloigner de toute bulle spéculative.
- Le véritable intérêt à long terme est celui qui valorise l’intérêt de tous.
- L’équilibre doit être évalué sur le long terme.
- Entre les économies, il faut construire des ponts plutôt que des murs.
La plus grande leçon que l’Histoire nous a apprise est que l’économie humaine est comme un cœur géant. Chaque battement du cœur est le processus de concentration constante de la richesse et chaque contraction du cœur est le processus de rééquilibrage passif provoqué par la concentration de la richesse à son extrême.
L’Histoire avance entre les battements et les contractions du cœur.
Traduit par Charlotte Clémence
Source : https://www.secretchina.com/news/gb/2020/04/05/928659.html
Soutenez notre média par un don ! Dès 1€ via Paypal ou carte bancaire.